Un Temps sans âge (extrait – 2014)
Chronique 8, Flux News 63
Mars 2014
Aldo Guillaume Turin
…A partir de quel moment une oeuvre est-elle dite une oeuvre? Doit-on se ranger à l’avis des critiques qui l’accompagnent, l’analysent, éformant plus d’une fois ses intentions, arrachant à vif ses racines que tentent en vain de dissimuler un secret de fabrication, ou une palette de sensations contradictoires et croire à une capacité pour elle de surgir d’unequête intérieure que les espèces communes ignorent ? Mozart composait, paraît-il, ses plus aériennes phrases musicales, et même avec une facilité se renouvelant sans qu’il eût à bien y réfléchir, du fond d’une imagination si débordante que la transcrire sur papier lui était un saut dans un domaine étranger à sa verve native. L’intéressant, depuis que la critique a appris à se pencher sur la méthode élue par un créateur, dès lors que l’exigence qu’il a faite sienne – spectre d’une diagonale du fou courant du plus volatil jusqu’au plus sévère – conduit au-delà de son espoir, c’est l’accès désormais ouvert à des arborescences à l’aune desquelles la notion de « résultat » n’occupe plus la place principale. On ne nous demande pas d’oublier ce qu’il est, ce résultat, on admet maintenant qu’il renvoie à un pouvoir de décantation dont l’objet est avant tout un travail de sape des langues admises, des moyens que développent le langage et sa maîtrise, peu importe le véhicule, musique, texte, visualité.
Voilà les pensées qui venaient, à la découverte des collages de Robert Suermondt, peintre qui, à l’aide de ce qu’il convient de percevoir comme des ébauches, des avant-projets de tableaux, ou des coups de sonde, signifie à son tour le parti pris d’émotion et de vérité à quoi se référer lorsque, comme ici, se montrent à l’état brut, et sans nulle feinte, les étapes du processus poétique. On ne s’étonnera pas, puisqu’il s’agit de collages, qu’il y ait matériau de réemploi – Suermondt sait parfaitement que le mode de réalisation qu’infère un collage remonte à l’époque cubiste, et que Braque et Picasso ont tiré le meilleur miel de ces trophées ruinés qu’étaient les débris qu’ils trouvaient et métamorphosaient, genre carton et journal à gros caractères. On ne se trompera guère en affirmant que ce registre formel a atteint son âge adulte. Le revendiquer, par conséquent, ne saurait ni apporter du neuf, ni mener à une révision des conquêtes ou des enjeux propres à un style d’approche plastique qui, après la révolution qu’il a suscitée, jouit du statut à la fois de mythe et d’exemple. D’où cette remarque: aucune surprise n’est déclenchée par les « barquettes » qu’utilise Suermondt – ce sont des récipients qui ne devaient servir qu’à conditionner ce qu’on appelle des « plats préparés », ceux-là que l’industrie alimentaire produit, à niveau égal avec d’autres « biens de consommation », à la chaîne. Aucune surprise, c’est un fait ; mais en revanche le choc devant une série de travaux à cohésion interne alternative.
Il revient à la maison d’édition La lettre volée d’avoir permis que l’on puisse comparer les collages de l’artiste et le film qu’il a élaboré sur base du morcellement des surfaces, du heurt des parcelles, du procédé consistant à laisser bourgeonner de l’une à l’autre des sortes de pièces d’un puzzle au profit d’une absence totale de discrimination entre ces éléments impossibles à rapporter à uniquement l’idée de chaos circonscrit avec adresse: comptent tout autant, et insistent, celles de mise au cordeau défaillante et de dépistage contrarié d’une loi d’observance étendue à tous les postes. C’était en novembre dernier, et les locaux où régnaient les collages se prêtaient à merveille à un effet de confluence entre médiums. On assistait, d’un côté, à un film, plutôt à une succession très rapide de plans structurés à l’identique, se recouvrant et s’éliminant à la vitesse supposée de leur enregistrement, et où des connexions inédites rejaillissaient de « barquettes » soumises à un rythme d’apparitiondisparition les rejetant au vide – comme s’il était question de déterminer leur pouvoir de résistance face aux formes, aux textures « importées » sur elles, et face aussi aux levées de clair et d’obscur en rapport avec quelque évanouissement d’un mirage. Et, de l’autre, à la juxtaposition dans l’espace réel de ces mêmes séquences, soudain rendues à l’immobilité, un cimetière d’impressions et de redoublements tactiles en appel de ce « point de vue documenté » dont parlait autrefois Jean Vigo. On ressentait ce travail comme un battement de paupières: ces sédiments obéissaient à un impératif d’instantanéité, de transhumance du langage, loin de tout désir de s’arrêter en route – de combler les intervalles, de repos ou de simple aspiration au silence, au rien, qu’il arrive très souvent, trop souvent, au langage d’échanger contre des cryptages qui les nient….
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