Robert Suermondt

2023 Texte de Benoît Dusart pour la Tombée des images, MCCS, Bruxelles

La tombée des images

Drôle d’affaire que ce titre. Pour signifier la graviter, il est probable que la plupart d’entre nous, influencé par de vagues clichés romantiques, aurait plus certainement parlé de chute. Evoquer une chute aurait eu un côté tragique et splendide, bien dans l’air du temps. Ne serions-nous pas « saturés », « dévorés », « engloutis » par le « spectacle de nos smartphones », des panneaux publicitaires, des 1000 agencements médiatiques qui échafaudent nos désirs ? Il y aurait alors, dans cette chute des images, une débâcle libératrice, faisant table-rase des « ombres trompeuses » qui, au moins depuis Platon, nous éloignent du monde des Vérités.

Cependant, Robert Suermondt est bien plus peintre qu’il n’est philosophe ou moraliste. Ce qui l’intéresse ne relève pas strictement de l’état du monde et de ses mythologies. Il est plutôt celui par lequel se fabrique les illusions : artiste. Pour autant, Robert Suermondt aborde toujours son travail de la façon la plus pragmatique et concrète. Il n’y a jamais, au préalable de la peinture, une grande idée. Surtout pas de grandes idées, jamais. Une grande idée ne fait jamais un bon tableau. A la limite, ça peut faire quelque chose de joli, de ressemblant, un travail généralement aussi « bien fait » qu’ennuyeux.

Je crois qu’au départ de cette exposition, Robert Suermondt a regardé longuement le lieu. Il y a vu beaucoup d’histoires, énormément d’activités… et pas vraiment de place pour y exposer ses tableaux. Il a remarqué par contre les portes et fenêtres qui rythment le préau. Et puis ces tringles, presque des cimaises, fixées au-dessus de chaque ouverture. La toile peut se tendre sur châssis, mais aussi se dérouler pour se suspendre verticalement, du plafond au sol, dans le vide. Laisser choir la toile, c’est l’intégrer à l’architecture, comme une sorte de voile fantomatique qui, occultant les vitres, offrirait néanmoins quelque chose au regard. Quelque chose comme une forme ou l’autre, à l’amorce d’une figure, d’un visage, d’un océan clair dépourvu de ciel. Peut-être s’est-il dit que, sur ces toiles, pouvaient tomber quelques images, livrées en vrac et en grappes, formant une sorte d’écume après la vague. Cela tombe effectivement, comme la pluie ou le jour ; c’est une histoire de temps, d’apparitions, d’entrelacement de formes et de couleurs, de pleins et de vides, de renversements.  

Rien ne s’écrase – il  n’y a pas de chute – mais tout se charpente et se transforme. Et si le regard s’élève un peu, l’ensemble se délie et s’évanouit. On a tous vus des visages dans les plissures d’un rideau, des continents  jaillir d’un vieux  papier-peint. Ici, c’est presque pareil, mais en beaucoup mieux…Et avec trois fois rien. C’est à partir de cartons d’emballage trouvés sur les trottoirs que s’est progressivement constitué l’inventaire qui compose les toiles : caisses à fruits, packs de bière, paquets de cigarettes… Déchets dépourvus de la moindre valeur esthétique et qui, dépliés et mis à plat, se révèlent être vecteurs de formes et d’imaginaires. Les images sont à trouver, à prendre…Elles tombent avec une telle abondance qu’il est toujours possible d’en lâcher une pour l’autre, d’en épuiser ou d’en amplifier l’énergie, l’esprit aux aguets et le regard en mouvement.     

                                                                                                                               B.Dusart.

Trou dans le Miroir ( Benoit Dusart)

Trou dans le Miroir ( Benoit Dusart)

Galerie Michèle Schoonjans, Bruxelles, mai 2022
 

Beaucoup de peintures de Robert Suermondt – si pas toutes – reposent sur ce contrat implicite : l’adhésion du regard aux images ne serait qu’une halte, une escale nécessaire au abord d’un puit sans fond ou d’un maillage privilégiant, à toute hiérarchisation des formes, le tracé rhizomique de scènes irréductibles à toute notion de paysage.

Au départ, rien de plus concret que le couvercle dune boîte d’aquarelle ou que des voitures sur le parking d’un Whole foods market de San-Francisco. La série des Angulations, comme celle des automobiles, est née d’une curiosité pour une forme ou un film, à portée de l’œil ou du clavier[1], inspirant les prémices d’un travail déportant ces choses en un champ souple et ductile, à rebours de toute fixation perceptuelle. Si, la peinture de Robert Suermondt ne semble jamais s’épuiser, ce n’est pas seulement affaire de détails (qui n’en sont pas) ou d’un savoir-faire formel. Ce qui attire et retient le regard et la pensée tient surtout des multiples renversements, paradoxes et chausses trappes qui offrent corps et sens aux tableaux. Si l’opposition abstraction/figuration n’a jamais eu beaucoup de pertinence –et encore moins ici – il en va aussi de celle qui opposerait l’image et son sous texte, la forme comme métaphore d’enjeux conceptuels et narratifs plus ou moins explicites.

On peut bien sur aborder l’œuvre de cette façon et voir dans les Angulations la reprise en peinture des livres miroir compilés à partir du 12ième siècle : dans la tradition scolastique, ces livres se veulent intermédiaires entre le terrestre et le divin, par l’intermédiaire d’une écriture dont la densité doit pouvoir devenir translucide, « toute entière ouverte à l’évidence de son objet et disparaissant derrière elle [2]». Le Speculum sine macula a pour vocation de remplacer tous les livres, les absorber, en tenir lieu. Sa forme accomplie serait celle d’un miroir de lumière composé de toutes les images possibles et de tous les mots, ne reflétant qu’un éclat aveuglant, saturant l’imaginaire au point de le rendre KO. Si la peinture de Robert Suermondt tend vers cette logique spéculaire, s’est en s’adjoignant de perspectives et d’ombres portées, jouant sur la concavité et la convexité, brouillant parfois le rythme et démultipliant ses motifs, sans jamais complètement les standardiser. Bien sûr il s’agit d’images et non d’éclats divins, mais cela vibre et sature au point d’éprouver très concrètement le regard, à la fois happé et repoussé, sans qu’il ne puisse totalement embrasser l’ensemble, le définir et s’y identifier.

La portée philosophique de cette série relève d’une pensée en images et non de l’image d’une pensée. L’expérience perceptuelle concurrence toujours les références et les symboles qu’on peut lui adjoindre, sans que jamais ne s’émousse l’irrépressible besoin de sens qu’appelle cette mise en énigme picturale. En otage et aux aguets, le regard ne peut que fouiller inlassablement la surface, au point d’en oublier les bords. Car à rebours de leur fixité géométrique, les motifs semblent toujours en mouvement, se virtualisent, en appellent à une résolution qui ne semble jamais se situer strictement dans la matérialité des tableaux.

Bien que formellement très différente, la série des automobiles en appelle elle aussi à ces cheminements. On peut ici se soutenir d’un imaginaire commun, plus ou moins fétichiste et critique mais conceptuellement rassurant. Bien plus qu’un objet, la voiture n’a pas la neutralité des formes

exploitées dans les Angulations. Elle est une industrie, une économie, se prolongeant d’auto-écoles en stations-services, de signalisations en contrôles de police. Elle exige ses voies propres, détermine la largeur des trottoirs pour organiser l’essentiel du mode de vie urbain. Elle repose  sur une conception individualiste du transport et sur le mythe de la liberté et de la propriété individuelle, comme elle conditionne encore notre rapport au temps et l’essentiel de notre environnement[3]… Il n’est pas interdit d’aborder les peintures via cette entrée, d’autant que leur traitement, à la fois ludique et très ironique renvoie aussi aux saveurs un peu cruelles de l’enfance, aux jouets désossés ou brulés, lancés des balcons ou contre les murs…pour voir.

Cependant, les voitures de Robert Suermondt ne semblent pas être des machines, ni vraiment des jouets. Organiques et molles, leurs surfaces presque duveteuses semblent faites d’une chair fragile, malmenée au point de se déchirer ou plutôt de se tordre monstrueusement. Si l’on flirte bien avec la métaphore et la dystopie, cette narration n’est certainement pas le seul enjeu. Là encore et bien au-delà des références picturales – on peut y voir  par accident du Francis Bacon ou du Malcolm Morley  – c’est le vertige relationnel qui, comme pour les angulations, donne vie à ces peintures. Aplats et perspectives trompeuses hâtent un apparent chaos qui, là encore, résiste à toute clôture perceptuelle. Si les points d’appuis sont nombreux, on est toujours à la limite du déséquilibre, comme pour inciter le regard à se remettre rapidement en mouvement. Cette vitesse est bien réelle, comme le sont les multiples redirections induites par les compositions.

Associées l’une à l’autre, ces deux séries forment dans l’espace d’exposition autant de stations-relais.  A la fois balises et champs d’attractions, elles attestent des 1000 directions prises par la peinture, comme pour nous y perdre et chaque fois nous y ramener…A l’image de cette monumentale Voie Royale qui de strate en strate, de plus en plus profondes, fantomatiques et intimes, semble creuser inlassablement son sillon.

                                                                                                                 Benoit Dusart.


[1] La série des automobiles trouve sa source dans l’étude du maillage urbain de la côte ouest américaine, via Google Maps, à la trace des décors d’un film.

[2] Agnès Minazzoli, La première ombre, réflexion sur le miroir et la pensée, Minuit, 1990, P30.

[3] Sur cet état de fait, Bernard Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau, essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, La Découverte, 2018.

Un Temps sans âge (extrait – 2014)

Un Temps sans âge (extrait – 2014)

Chronique 8, Flux News 63

Mars 2014

Aldo Guillaume Turin

…A partir de quel moment une oeuvre est-elle dite une oeuvre? Doit-on se ranger à l’avis des critiques qui l’accompagnent, l’analysent, éformant plus d’une fois ses intentions, arrachant à vif ses racines que tentent en vain de dissimuler un secret de fabrication, ou une palette de sensations contradictoires et croire à une capacité pour elle de surgir d’unequête intérieure que les espèces communes ignorent ? Mozart composait, paraît-il, ses plus aériennes phrases musicales, et même avec une facilité se renouvelant sans qu’il eût à bien y réfléchir, du fond d’une imagination si débordante que la transcrire sur papier lui était un saut dans un domaine étranger à sa verve native. L’intéressant, depuis que la critique a appris à se pencher sur la méthode élue par un créateur, dès lors que l’exigence qu’il a faite sienne – spectre d’une diagonale du fou courant du plus volatil jusqu’au plus sévère – conduit au-delà de son espoir, c’est l’accès désormais ouvert à des arborescences à l’aune desquelles la notion de « résultat » n’occupe plus la place principale. On ne nous demande pas d’oublier ce qu’il est, ce résultat, on admet maintenant qu’il renvoie à un pouvoir de décantation dont l’objet est avant tout un travail de sape des langues admises, des moyens que développent le langage et sa maîtrise, peu importe le véhicule, musique, texte, visualité.

Voilà les pensées qui venaient, à la découverte des collages de Robert Suermondt, peintre qui, à l’aide de ce qu’il convient de percevoir comme des ébauches, des avant-projets de tableaux, ou des coups de sonde, signifie à son tour le parti pris d’émotion et de vérité à quoi se référer lorsque, comme ici, se montrent à l’état brut, et sans nulle feinte, les étapes du processus poétique. On ne s’étonnera pas, puisqu’il s’agit de collages, qu’il y ait matériau de réemploi – Suermondt sait parfaitement que le mode de réalisation qu’infère un collage remonte à l’époque cubiste, et que Braque et Picasso ont tiré le meilleur miel de ces trophées ruinés qu’étaient les débris qu’ils trouvaient et métamorphosaient, genre carton et journal à gros caractères. On ne se trompera guère en affirmant que ce registre formel a atteint son âge adulte. Le revendiquer, par conséquent, ne saurait ni apporter du neuf, ni mener à une révision des conquêtes ou des enjeux propres à un style d’approche plastique qui, après la révolution qu’il a suscitée, jouit du statut à la fois de mythe et d’exemple. D’où cette remarque: aucune surprise n’est déclenchée par les « barquettes » qu’utilise Suermondt – ce sont des récipients qui ne devaient servir qu’à conditionner ce qu’on appelle des « plats préparés », ceux-là que l’industrie alimentaire produit, à niveau égal avec d’autres « biens de consommation », à la chaîne. Aucune surprise, c’est un fait ; mais en revanche le choc devant une série de travaux à cohésion interne alternative.

 

Il revient à la maison d’édition La lettre volée d’avoir permis que l’on puisse comparer les collages de l’artiste et le film qu’il a élaboré sur base du morcellement des surfaces, du heurt des parcelles, du procédé consistant à laisser bourgeonner de l’une à l’autre des sortes de pièces d’un puzzle au profit d’une absence totale de discrimination entre ces éléments impossibles à rapporter à uniquement l’idée de chaos circonscrit avec adresse: comptent tout autant, et insistent, celles de mise au cordeau défaillante et de dépistage contrarié d’une loi d’observance étendue à tous les postes. C’était en novembre dernier, et les locaux où régnaient les collages se prêtaient à merveille à un effet de confluence entre médiums. On assistait, d’un côté, à un film, plutôt à une succession très rapide de plans structurés à l’identique, se recouvrant et s’éliminant à la vitesse supposée de leur enregistrement, et où des connexions inédites rejaillissaient de « barquettes » soumises à un rythme d’apparitiondisparition les rejetant au vide – comme s’il était question de déterminer leur pouvoir de résistance face aux formes, aux textures « importées » sur elles, et face aussi aux levées de clair et d’obscur en rapport avec quelque évanouissement d’un mirage. Et, de l’autre, à la juxtaposition dans l’espace réel de ces mêmes séquences, soudain rendues à l’immobilité, un cimetière d’impressions et de redoublements tactiles en appel de ce « point de vue documenté » dont parlait autrefois Jean Vigo. On ressentait ce travail comme un battement de paupières: ces sédiments obéissaient à un impératif d’instantanéité, de transhumance du langage, loin de tout désir de s’arrêter en route – de combler les intervalles, de repos ou de simple aspiration au silence, au rien, qu’il arrive très souvent, trop souvent, au langage d’échanger contre des cryptages qui les nient….

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Dromadaire

Dromadaire

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Jeudi

Format Betacam SP
Systeme PAL
Couleur col.
Année 2011
Durée 00:10:01

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Divers

Divers

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Entrefaces

La série des collages Entreface participent d’un même geste, d’une double opération visant à soustraire à ces images découpées dans la presse les visages présents et à esquiver la soustraction elle-même.

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Collages Quatres 2003 – 2005

Collages Quatres 2003 - 2005

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