La tombée des images
Drôle d’affaire que ce titre. Pour signifier la graviter, il est probable que la plupart d’entre nous, influencé par de vagues clichés romantiques, aurait plus certainement parlé de chute. Evoquer une chute aurait eu un côté tragique et splendide, bien dans l’air du temps. Ne serions-nous pas « saturés », « dévorés », « engloutis » par le « spectacle de nos smartphones », des panneaux publicitaires, des 1000 agencements médiatiques qui échafaudent nos désirs ? Il y aurait alors, dans cette chute des images, une débâcle libératrice, faisant table-rase des « ombres trompeuses » qui, au moins depuis Platon, nous éloignent du monde des Vérités.
Cependant, Robert Suermondt est bien plus peintre qu’il n’est philosophe ou moraliste. Ce qui l’intéresse ne relève pas strictement de l’état du monde et de ses mythologies. Il est plutôt celui par lequel se fabrique les illusions : artiste. Pour autant, Robert Suermondt aborde toujours son travail de la façon la plus pragmatique et concrète. Il n’y a jamais, au préalable de la peinture, une grande idée. Surtout pas de grandes idées, jamais. Une grande idée ne fait jamais un bon tableau. A la limite, ça peut faire quelque chose de joli, de ressemblant, un travail généralement aussi « bien fait » qu’ennuyeux.
Je crois qu’au départ de cette exposition, Robert Suermondt a regardé longuement le lieu. Il y a vu beaucoup d’histoires, énormément d’activités… et pas vraiment de place pour y exposer ses tableaux. Il a remarqué par contre les portes et fenêtres qui rythment le préau. Et puis ces tringles, presque des cimaises, fixées au-dessus de chaque ouverture. La toile peut se tendre sur châssis, mais aussi se dérouler pour se suspendre verticalement, du plafond au sol, dans le vide. Laisser choir la toile, c’est l’intégrer à l’architecture, comme une sorte de voile fantomatique qui, occultant les vitres, offrirait néanmoins quelque chose au regard. Quelque chose comme une forme ou l’autre, à l’amorce d’une figure, d’un visage, d’un océan clair dépourvu de ciel. Peut-être s’est-il dit que, sur ces toiles, pouvaient tomber quelques images, livrées en vrac et en grappes, formant une sorte d’écume après la vague. Cela tombe effectivement, comme la pluie ou le jour ; c’est une histoire de temps, d’apparitions, d’entrelacement de formes et de couleurs, de pleins et de vides, de renversements.
Rien ne s’écrase – il n’y a pas de chute – mais tout se charpente et se transforme. Et si le regard s’élève un peu, l’ensemble se délie et s’évanouit. On a tous vus des visages dans les plissures d’un rideau, des continents jaillir d’un vieux papier-peint. Ici, c’est presque pareil, mais en beaucoup mieux…Et avec trois fois rien. C’est à partir de cartons d’emballage trouvés sur les trottoirs que s’est progressivement constitué l’inventaire qui compose les toiles : caisses à fruits, packs de bière, paquets de cigarettes… Déchets dépourvus de la moindre valeur esthétique et qui, dépliés et mis à plat, se révèlent être vecteurs de formes et d’imaginaires. Les images sont à trouver, à prendre…Elles tombent avec une telle abondance qu’il est toujours possible d’en lâcher une pour l’autre, d’en épuiser ou d’en amplifier l’énergie, l’esprit aux aguets et le regard en mouvement.
B.Dusart.